Les logements sociaux ne créent pas la pauvreté

Les logements sociaux ne créent pas la pauvreté

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Le gouvernement estime qu’il y a trop de logements sociaux dans certaines villes et entend limiter les constructions dans celles dont le taux dépasse 40 %. C’est ce que commande une circulaire transmise aux préfets cet été. Une mesure qui scandalise Marianne Louis de l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui fédère le mouvement HLM.
Faïza Zerouala / Médiapart
29 octobre 2021 à 19h57
Longtemps, les gouvernements successifs ont rappelé à l’ordre les communes qui ne construisaient pas assez de logements sociaux. Pour l’exécutif, c’est le contraire. Il entend en limiter la construction dans les villes qui ont un taux supérieur à 40 %. C’est le sens de la circulaire signée par les ministres déléguées au logement et à la ville, Emmanuelle Wargon et Nadia Hai. Elle a été transmise aux préfets cet été, selon Le Parisien. Cette circulaire a pour vocation de limiter la construction de nouveaux HLM « au profit d’une diversification de l’offre de logements. Cette mesure doit contribuer à améliorer les conditions de vie de nos concitoyens et à lutter contre le sentiment de relégation ».
Des HLM à Toulouse. © Adrien Nowak / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Désormais, l’État devra délivrer un accord préalable pour que des logements très sociaux PLAI (prêt locatif aidé d’intégration) et PLUS (prêt locatif à usage social) soient construits.
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Cette annonce inquiète l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui fédère le mouvement HLM, et l’a fait savoir dans un communiqué cinglant. Sa présidente Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du logement, explique qu’« il serait temps pour l’ensemble des responsables politiques, nationaux et locaux, plutôt que de céder à la démagogie préélectorale, de reconnaître que les HLM ne sont pas, par principe, un problème ou un bouc émissaire. D’ailleurs, savent-ils que, contrairement à leurs préjugés nauséabonds, près de six Français sur dix ont une bonne image des logements HLM ? ».
Marianne Louis, déléguée générale de l’USH, revient pour Mediapart sur les raisons de cette opposition alors que la demande de logements sociaux est croissante et que la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) doit être renouvelée.
Mediapart : À brûle-pourpoint, comment analysez-vous cette circulaire et ses effets possibles ?
Marianne Louis : Il y a cette circulaire mais aussi la volonté du gouvernement de la transformer en disposition législative, dans la loi 3DS sur la décentralisation, qui sera examinée à l’Assemblée nationale avant la fin de l’année, en décembre. Amener ainsi ce sujet dans le débat public relève de la démagogie pure en cette période préélectorale. Tous les clichés sur le logement social ressortent et c’est ce qui nous révolte. On sous-entend que les communes qui abritent du logement social sont celles où il y a des problèmes de sécurité. C’est faux. On peut prendre quelques exemples pour l’illustrer. Marseille est une ville qui attire beaucoup d’attention politique et médiatique. Mais là-bas, il y a environ 20 % de logements sociaux, bien moins que le seuil de 25 % prévu par la loi SRU. De l’autre côté du spectre, nous avons Arcueil, une ville tranquille dans le Val-de-Marne qui ne connaît pas de difficultés majeures, et elle possède plus de 40 % de logements sociaux. Ça n’a aucun sens, on veut accabler les locataires de ces logements de tous les maux.
Vous considérez que cette circulaire est démagogique. Est-ce qu’elle renforce les clichés sur les HLM ?
Marianne Louis © DCOM USH
Oui, cette circulaire est stigmatisante pour le logement social. Des maires, comme Patrick Jarry à Nanterre, par exemple, disent que ça ne pose pas de problème de construire des HLM. Il faut le redire, les habitants des logements sociaux ne sont pas des hordes de sauvages. Les discours mensongers, relayés notamment par l’extrême droite, disent que, si vous construisez du logement social, vous allez faire venir tous les pauvres dans les communes. C’est faux, car la plupart des demandeurs souhaitent rester dans leur ville de résidence.
Le profil des demandeurs de logements sociaux va à rebours des idées reçues. Ils ont pour 40 % d’entre eux des emplois stables. En revanche, ils ont des petits revenus. On ne peut donc pas leur appliquer une double
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peine et les laisser percevoir des salaires faibles et les obliger à se loger dans le privé dans des appartements affreusement chers. Cette circulaire va compliquer davantage la situation. Aujourd’hui environ 1,5 million de personnes attendent un logement social. Ce n’est pas parce qu’on fera moins de logements sociaux que les gens seront plus riches et ce ne sont pas les logements sociaux qui créent la pauvreté.
Dans la circulaire, il est spécifié que cette mesure doit contribuer « à améliorer les conditions de vie de nos concitoyens et à lutter contre le sentiment de relégation ». Qu’en pensez-vous ?
Cette circulaire est une mesure hostile aux HLM.
Marianne Louis, déléguée générale de l’USH
Déjà, on ne fait pas de la mixité en interdisant aux plus pauvres de loger dans une commune, on la crée en obligeant les communes riches à accueillir du logement pour les ménages modestes. Tout cela aurait du sens si dans l’autre temps, le gouvernement voulait aller plus fort sur la loi SRU. Mais cela ne va pas dans ce sens. Le Sénat, dans la loi 3DS, a mis en place l’intercommunalité des objectifs. C’est-à-dire autoriser que le rattrapage des objectifs de la loi SRU ne se fasse plus forcément à l’échelle de la commune mais qu’il puisse être mutualisé au niveau de l’intercommunalité. C’est la meilleure manière de recréer des quartiers de ségrégation. Vous avez une commune qui va avoir 70 % du logement social et puis une autre qui sera tranquille parce que la moyenne au niveau de l’agglomération sera la bonne.
Cette circulaire est une mesure hostile aux HLM. Mais il n’y a pas que ça. L’examen du projet de loi 3DS va marquer l’heure de vérité pour le président de la République. Est-ce que son discours en faveur de la mixité sociale est un discours de façade ou sincère ? Est-ce qu’ils vont renforcer la loi SRU pour tenir compte du fait de ce qui a marché et ce qui n’a pas marché ?
Comment agit-on pour plus de mixité sociale selon vous ?
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S’il veut prétendre oeuvrer en faveur de la mixité sociale, le gouvernement ne doit pas entériner la mutualisation votée par le Sénat. Nous, au contraire, on propose que dans les grandes villes à arrondissements – Paris, Lyon et Marseille –, il y ait des objectifs par arrondissement comme il y a de la ségrégation entre eux. C’est très visible à Paris où il y a des arrondissements qui ont moins de 10 % de logements sociaux et d’autres qui en ont plus de 30. Donc, si le gouvernement veut vraiment lutter pour la mixité sociale, ce n’est pas en empêchant certaines communes d’en construire qu’il va réussir. Et il faudrait aussi supprimer les dérogations accordées par les préfets dans certaines régions comme Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Est-ce que cette circulaire n’a pas le mérite de démontrer les inégalités dans la répartition des logements sociaux. L’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement
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urbain (SRU), qui impose aux communes de disposer d’au moins 25 % de logements sociaux dans leur parc, depuis la loi Duflot de 2013, ne suffit pas à obtenir une offre homogène, notamment avec les villes du Sud-Est, qui sont de très mauvaises élèves ?
Cela montre surtout à quel point des communes ne jouent pas le jeu de la solidarité nationale et mobilisent toute leur énergie à essayer de limiter les constructions de logements sociaux. C’est une question presque philosophique et on voit que l’entre-soi prévaut pour certains. Ce débat permet toutefois de lever un certain nombre d’hypocrisies dans le débat public.
Comment faire pour concilier ce qui sous-tend ce débat, à savoir l’impératif de droit au logement avec la politique d’attribution des HLM et ces restrictions ?
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L’équation est complexe. 2 millions de personnes demandent un logement social, dont 1,5 million qui ne sont pas dans le parc social, et on construit 100 000 logements par an. Il y a 400 000 attributions par an environ. On n’arrive pas à satisfaire la demande croissante. Surtout que ce n’est pas une question de confort mais de besoin. Ceux qui souhaitent occuper un logement social sont souvent des gens qui payent un loyer trop élevé, qui vivent trop loin de leur lieu de travail ou ont des surfaces trop petites.
Des études montrent que la suroccupation d’un logement, c’est-à-dire être trop nombreux dans un logement, pèse sur la santé mentale et la réussite scolaire notamment. C’est donc une question essentielle. Il n’y a pas de secret, il faut donc en produire plus et débloquer les financements afférents. Et non pas les limiter.

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